Anonymat sur Internet


L'éthique des devoirs

L'universalisation de nos actions

Le déontologisme de Kant est ce qu’on appelle l’éthique des devoirs. L'Homme, jugé libre et unifié pour être responsable de ses décisions, est doté d'une raison. Pour Kant, la raison est une volonté aspirant à la liberté, qui fait le bien. Elle est régie par des impératifs hypothétiques (sous conditions d'applicabilité) et catégoriques (à respecter inconditionnellement). La loi morale devant être appliquée en toute circonstance, elle est catégorique. Pour respecter ce devoir universel, il faut agir de telle sorte que nos actions puissent être formulées par une maxime qui elle-même puisse devenir une loi universelle. Cette maxime doit également considérer tout être humain impliqué comme une fin et non un moyen, il faut donc également veiller à leur bien. Selon Kant, derrière le devoir de chacun il y a une sorte d’accomplissement en soi qui constitue le destin de l’homme. Les actions réalisées dans le but d’accomplir un ou plusieurs devoirs doivent être par pur respect pour la loi morale et non pas par conformité pour celle-ci.

L'approche via le déontologisme de notre problème éthique de l'anonymat sur Internet est la suivante : « Étant devant un bouton rouge qui peut dévoiler l’identité de toutes les personnes présentes sur Internet, appuierions-nous ? Notre action pourra-t-elle être généralisée selon une maxime applicable à tous, dans le respect d'autrui ? »

Premièrement, on remarque que notre devoir serait d’appuyer sur le bouton pour dévoiler l’identité des cyberharceleurs qui peuvent pousser certaines personnes vers la dépression et donc indirectement nuire à leur vie, mais aussi pour dévoiler l’identité de personnes participant aux réseaux de pédophilies voire même des réseaux terroristes.

Cependant, en appuyant sur le bouton, nous dévoilerions aussi l’identité de journalistes anonymes qui n’ont pas vraiment droit à une liberté d’expression dans leur pays et qui se cachent pour émettre leur avis sur certaines situations politiques. Les lanceurs d’alertes, militaires/agents secrets dont l’identité à découvert pourrait être une menace pour leur vie et l’identité des personnes ayant partagé leurs problèmes, sont à protéger. Le déontologisme nous pousserait dès lors de ne pas appuyer sur le bouton.

Malheureusement, nous atteignons très rapidement les limites de l'éthique des devoirs puisque l'on se retrouve dans une impasse. D’un côté, nous avons le devoir de protéger la vie de l’autre mais de l’autre, nous avons le devoir d'aider les personnes en danger. Une preuve directe de cette impasse se dévoile facilement avec l'opération « Argos Special Force ». Est-ce que, selon le déontologisme, nous aurions infiltré le site pédopornographique « Child’s Play » ? D’un côté nous avons le devoir d’aider les enfants dont la vie est menacée par ce site mais de l’autre infiltrer ce site veut dire l’alimenter et participer à son avancement et donc indirectement augmenter la menace qui pèse sur les potentielles victimes. Cependant, l’intention d’alimenter le site et de participer à son avancement a pour but de sauver des vies supplémentaires. Dans ce cas-ci, nous ferions ce que les agents infiltrés ont fait pour démanteler le site « Child’s Play » mais nous utiliserions aussi la vie des enfants comme un moyen d'arriver à nos fins, ce qui est proscrit par l'éthique des devoirs.

La dernière piste de réflexion se porte sur le déontologisme vu par Hans Jonas. Il envisage un autre pan : celui de la responsabilité. On peut distinguer les responsabilités rétroactives, qui sont orientées vers le passé et l'action en tant que telle, et les responsabilités prospectives, orientées vers le futur. Il est naturel d'accorder plus d'importance aux prospectives qu'aux rétroactives puisque nous serions plus aptes à contrôler ce qui arrivera alors que l'on subit un peu plus le passé. Cela permet d'être plus franc lors de notre décision face au site Child's Play. En effet, prendre la responsabilité de laisser les crimes se perpétrer pour permettre de sauver plus de vies dans le futur est une démarche éthiquement un peu plus acceptable.

Pour conclure, nous sentons qu'il est difficile d'arriver à un consensus en suivant l'éthique des devoirs. Ces quelques pistes de réflexions philosophiques supplémentaires permettent de terminer l'analyse par une faible tendance à l'anonymat.