L'avis des experts

Quel avis pour des gens touchés au quotidien par la protection des données?

Posté par Roberto Quaranta et Alice Tondeur le 11 Avril 2019

Plusieurs experts ont été interrogés sur le sujet épineux qu'est la protection des données face à l'anti-terrorisme :

Mathieu BRIOL : Corporate Account Manager et Managing Partner chez Mielabelo, entrepise spécialiste du GDPR

Alexandre AMORISON : Directeur des Technologies de l'Information à l'université de Mons (UMons)

Interview de Mathieu BRIOL

Un avis très tranché sur le sujet

Des questions simples pour démarrer

Tout d'abord, l'interview a été lancé de la même manière que lors du micro-trottoir :

  1. "Pensez-vous déverrouiller le téléphone d'un terroriste si le gouvernement vous le demandait?" => Oui, je le déverrouille.
  2. "Et si vous donniez juste un moyen pour le déverrouiller?" => Oui, je donne le moyen.
  3. "Et si ce moyen permettait au gouvernement de déverrouiller tous les téléphones?" => Oui, je le ferai toujours.

Ces propos peuvent paraître extrêmes, mais ils furent évidemment déatiller dans le débat qui suivit.

Un avis tranché, mais argumenté

Evidemment, une telle opinion se base sur plusieurs éléments :

  1. Le devoir citoyen
  2. La quantité de données à analyser par individu
  3. Le cadre juridique en occident : celui-ci est très strict et très précis dans ses limites

A priori, selon lui, permettre au gouvernement de protéger l'ensemble de la population est avant tout un devoir pour toute personne.

De plus, cela n'est pas une réelle atteinte à la vie privée des gens. Si le gouvernement a accés aux données de tout le monde, la quantité de données analysées sera énorme.
Si nous prenons l'exemple de l'abonnement de Roger pour la fistinière, nous verrons que l'Etat oubliera vite cette information : elle n'est pas pertinente et, de plus, cette info sera noyée dans le flux des autres données collectées.

Enfin, on peut penser qu'il y a un risque que le gouvernement puisse utiliser ces données à d'autres fins que celle de protection du citoyen.
Face à cette possibilité, Mathieu BRIOL a un argument d'autorité non négligeable : la législation en occident.
Celle-ci étant tellement stricte, il est impossible que les membres du gouvernement fassent quelque chose que l'on pourrait qualifier de malhonnête ou dangereux.

Ce sont tous ces éléments mis bout à bout qui font que Mathieu BRIOL ait un avis si tranché, il le nuance tout de même en précisant que cet opinion s'applique uniquement parce que nous vivons en Belgique. La réponse aurait évidemment été toute autre si on était dans une situation similaire à la Chine.

Interview d'Alexandre AMORISON

Moins catégorique dans son opinion

Pendant toute son interview, M. Amorison est resté très prudent dans ses propos, précisant régulièrement que le problème n'est pas simple et qu'il n'affirme pas avoir de remède miracle au problème.
Suite à cet avant-propos, il continua directement sur un point important, selon lui, observer quelqu'un, directement ou indirectement (par le biais de ses données), était une atteinte à la vie privée. En effet, il a été prouvé que quelqu'un qui est observé ne réagira pas de la même manière que s'il ne l'était pas. Donc ce n'est pas parce qu'un nombre restreint de personne font des actes répréhensibles qu'il faut priver cette liberté à tous.
Il précisa aussi que, même si nombreux sont ceux les personnes qui, aujourd'hui, clament qu'ils n'ont rien à cacher, leurs données ont une grande valeur et c'est sur cela que Marc Zuckerberg a bâti sa fortune.

Mais il rebondit peu après sur l'autre face du problème, la lutte contre le terrorisme. L'État se doit de protéger ses citoyens et il doit posséder les moyens de le faire.
Il précise donc que collecter les données de la population n'est d'ailleurs qu'un moyen parmi d'autres. Il émit toutefois rapidement certaines nuances là-dessus. Il faudrait appliquer une collecte par défaut des données, mais en autoriser l'accès dans des circonstances exceptionnelles uniquement. Sinon cela serait une réelle atteinte à la liberté individuelle comme précisé précédemment.
Cela ne peut s'appliquer que dans le cadre d'un gouvernement démocratique et si les intentions sont "correctes".
Enfin, lorsque quelqu'un accède aux données récoltées à une échelle nationale, vos données seront diluées parmi beaucoup d'autres et on ne peut donc parler de réelle atteinte à l'intimité.

Dans les autres éléments discutés, il nota que si le gouvernement avait la possibilité d'accéder aux données des gens, alors d'autres auraient aussi cette possibilité. Alors, comme cela a été dit plusieurs fois, il y aurait atteinte à la vie privée des gens. Suite à ces propos, M. Amorison réinsista sur son incapacité à fournir une solution au problème posé.
Il précisa tout de même qu'il y a moyen d'essayer de sécuriser les données via le principe de niveaux d'accréditation : secret, top secret,... car l'accessibilité à celles-ci seraient très réglementées.

Après avoir bien insisté sur la nécessité d'être précautionneux et d'avoir un cadre juridique clairement défini. Notre intervenant conclut sur l'importance que ces mesures contre le terrorisme soient et restent temporaires.
De plus, pour définir clairement les limites sur l'utilisation de cet outil, il faut se baser sur le cadre juridique du monde réel pour créer celui du monde virtuel (par exemple en regardant dans quelles situations on peut effectuer une perquisition.

Un contraste fort entre deux experts, quoique...

Si l'on ne regarde qu'en surface, on voit que les deux experts présentaient des avis très différents : l'un sûr de l'importance de partager ses données et l'autre plus mitigé. Mais est-ce réellement le cas?
Selon nous, leurs insistances sur la nécessité d'un cadre juridique fort et, plus important, le devoir du gouvernement de protéger les citoyens avec les moyens qu'ils ont à disposition nous ont montrés le contraire.