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Laëtitia Dragone, sous mandat au service d’Ingénierie pédagogique et numérique éducatif de la Faculté de psychologie des Sciences de l’éducation de Mons, travaille actuellement sur des parcours d’adaptive learning. Elle explique : « Sur base d’une évaluation diagnostique, on arrive à se faire une idée du profil de l’apprenant et en fonction des réponses qu’il donne à chaque item dans des parcours informatisés, on devrait pouvoir lui accorder un parcours qui correspond le mieux à son profil. Le but c’est d’individualiser. Ce qu’un enseignant au sein de sa classe ne pourra jamais faire ». C’est alors ici que l’IA et des algorithmes peuvent intervenir en tant qu’outils.



« Dans un monde où, pour chaque apprentissage, on aurait recours à cet outil, on serait plus robotisés qu’autre chose en fait, j’ai l’impression que ça enlèverait un peu de notre humanité. Je ne fais pas du tout partie de ceux qui ont peur de l’intelligence artificielle, mais je pense qu’il faut toujours être vigilant avec ce qu’on en fait »


Différents types de connaissances

Interrogée au sujet de la PN, L. Dragone nous confie qu’elle n’avait jamais entendu parler d’une telle technologie mais qu’elle pourrait s’avérer intéressante dans certaines situations. Elle nous explique qu’il existe trois grands types de connaissances : déclaratif, procédural et conditionnel. Les connaissances déclaratives sont par exemple de pouvoir dire « Paris est la capitale de la France ». Les connaissances procédurales sont liées à la méthode, aux procédures comme « Comment développer le carré d’une somme ? ». Les connaissances conditionnelles consistent à comprendre à quel moment on peut appliquer telle méthode ou telle règle en fonction de la situation, de certaines conditions. Notre experte semble convaincue qu’un outil tel que la programmation neuronale pourrait donner de bons résultats sur les connaissances déclaratives. Ce serait, selon elle, plus compliqué sur des connaissances de types procédurales ou conditionnelles. L’écriture, par exemple, est une connaissance procédurale. A la question de savoir s’il serait possible d’apprendre à écrire sans un travail mécanique, elle répond : « Non ! A un moment donné, on s’est posé la question de savoir si on devait enlever l’écriture cursive dans les écoles. Aujourd’hui, on sait bien que non, il ne faut surtout pas faire ça. Premièrement car la lecture et l’écriture sont clairement liées et puis par ailleurs, cela n’active pas du tout les mêmes zones dans le cerveau. Le geste de la calligraphie active des réseaux, des zones totalement différentes que lorsqu’on travaille avec un ordinateur et un clavier.».


Engagement et persévérance

On pourrait alors imaginer un enseignement où les connaissances déclaratives seraient apprises par la PN et les autres, par un enseignant. Mais selon notre expert, ce serait plus compliqué qu’il n’y parait car cela ne collerait pas à la façon de construire un apprentissage. En effet, un apprenant doit construire son savoir, d’abord en apprenant ses formules par exemple et ensuite en apprenant à les mettre en application. « Il faut [aussi] garder à l’esprit que l’engagement et la persévérance sont des compétences sociales qu’il faut développer. Si parce que l’élève n’a pas eu envie d’apprendre ses formules, on lui dit « ce n’est pas grave, on va te coller un réseau de neurone qui va te les apprendre », il n’a pas dû faire d’effort cognitif. Pour moi, ce ne sont pas ces valeurs là qu’il faut développer à l’école. Il faut donner le goût d’apprendre aussi. […] Le produit final, qu’il y ait eu apprentissage ou non, serait a priori le même mais tout ce qui est lié à la motivation, l’engagement cognitif, le fait de persévérer, mais aussi de trouver du sens dans sa tâche n’apparaitraient plus. », nous dit-elle.


Importance des interactions sociales

La programmation neuronale engendrerait une révolution des méthodes d’enseignement. Elle mènerait aussi, sans doute, à moins d’interactions sociales lors des phases d’apprentissages. Nous avons donc voulu savoir à quel point ces interactions pouvaient jouer un rôle sur ce que nous apprenons. Notre experte nous confie : « On sait bien que l’effet des pairs va impacter le développement cognitif des sujets. […] On va se rendre compte que lorsqu’on met des élèves ensemble sur une tâche qu’un enseignant donne, logiquement vous devez rencontrer des conflits socio-cognitifs. Pourquoi social ? Parce que vous allez vous rendre compte que votre réponse n’est pas nécessairement la seule, qu’il y en a d’autres. […] Ensuite, pourquoi cognitif ? Car vous menez une activité sur une tâche de nature cognitive. Ce qu’on sait, c’est que, lorsque les groupes sont bien constitués, qu’il y a conflit socio-cognitifs, on peut voir des progrès très rapides en termes de développement cognitif ».


Compétences du 21e siècle et softskills

Liées à ces interactions sociales, les apprenants d’aujourd’hui doivent aussi développer des connaissances dites « du 21e siècle ». L. Dragone développe : « Depuis l’ère d’internet avec la globalisation socio-économique, on a besoin de développer d’autres compétences et ce, autant dans le cadre scolaire que dans le milieu d’entreprise. Tout ce qui est lié à la pensée critique, la créativité, la collaboration, la résolution de problème et la pensée informatique. Ceci soulève un petit problème au niveau des écoles pour l’éducation car c’est une autre façon d’enseigner. Ce n’est plus du tout uniquement une pédagogie d’apport de savoir mais une pédagogie qui doit donner une large place à l’accompagnement par l’enseignant auprès d’élèves « makers ». Dans cette configuration, ce n’est plus juste la transmission du savoir qui est centrale mais le réel enjeu c’est de doter les apprenants de compétences pour qu’ils puissent correctement mobiliser leurs savoirs, mener des projets, résoudre des problématiques, pour qu’ils puissent tout simplement s’adapter au monde de demain. ». A côté de cela, il y a aussi les « soft skills », des compétences comportementales essentielles à développer comme travailler ensemble, communiquer et développer le social learning. A ce niveau, la PN pourrait, selon notre experte, être une piste pour aider les enseignants à transmettre ces compétences qui sont beaucoup plus difficiles à acquérir que des connaissances brutes. Toutefois, elle insiste sur un point : « Je ne voudrais pas que l’apprentissage devienne un processus dans lequel une machine serait à côté/connectée à un apprenant pour développer tout ça. L’apprentissage, ce n’est pas juste ça. Aujourd’hui, ma vision de l’intelligence artificielle en éducation, ça doit toujours être une intelligence humaine qui est aidée par l’IA et tant qu’on garde cela à l’esprit, je pense que réellement on pourra aller vers une éducation de qualité ».