Ce 1e avril, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer Monsieur Stanislas Deprez, expert en philosophie, anthropologie et sociologie portant un regard avisé sur le transhumanisme puisqu’il fait partie d’un centre de recherche français sur le sujet. Interrogé au sujet de la programmation neuronale, il nous confie avoir déjà entendu parler d’une telle technologie mais il précise qu’elle relève actuellement plus du fantasme que de la réalité. Il y a bien eu quelques essais documentés dans la littérature scientifique mais les sujets les plus aboutis ne concernent pas la manipulation neuronale. Les recherches les plus probantes touchent à l’allongement de la durée de vie et au développement de prothèses, qu’elles soient invasives ou non. Des expériences ont été menées dans le but d’améliorer la qualité de vie de certains patients avec par exemple, l’espoir de rendre la vision à des personnes aveugles ou de pouvoir communiquer avec des personnes dans le coma dont la faculté de pensée est en parfait état de marche.
« Le transhumanisme est l’une des rares utopies que l’on a aujourd’hui. Ce n’est pas un antihumanisme ».
Elargissement du débat
Le débat « pour ou contre » la programmation neuronale doit en fait être élargi. En effet, dans l’idéologie transhumaniste, ce n’est pas tellement la forme de l’amélioration qui importe mais plutôt l’amélioration en elle-même. Quelle partie de notre corps pouvons-nous améliorer et ce, peu importe la modalité ? La ligne de crête ne se situe pas au niveau de la technique car presque tous les transhumanistes sont d’accord sur le fait que la technique, quelle qu’elle soit, doit être la moins dangereuse, la moins invasive et la moins nuisible possible. De cette idée, on peut dissocier deux camps : d’une part, les techno-progressistes qui pensent que l’Etat doit chapeauter les recherches et interdire les technologies trop dangereuses et d’autre part, les transhumanistes libertariens qui prônent une liberté totale de la personne où l’Etat n’aurait pas à décider à la place de l’individu capable de juger lui-même s’il veut utiliser une technologie, qu’elle soit dangereuse ou non. Plus globalement, la question de l’amélioration de l’Homme divise en deux clans entre d’un côté les transhumanistes et assimilés et de l’autre, ceux qui appellent à un moratoire sur les recherches visant cette amélioration de l’Homme, dans tous les domaines.
Une voie faible mais intéressante
Comme nous l’avons dit, certains sont totalement contre le transhumanisme qu’ils jugent comme menant à la mort de l’Homme. Selon eux, l’humain doit pouvoir se satisfaire du corps et de la pensée qu’il a. Ce pseudo-surhomme pourrait détruire l’humanité. « Ces arguments ne semblent pas très intéressants. On ne peut pas avoir une recherche intelligente si on considère que les gens que l’on étudie sont tous des gens abominables, qu’on prend tout ce qu’ils disent de pire et qu’on grossit le trait, on ne retient que cela sans tenir compte du reste » dit notre expert. Du côté transhumaniste en revanche, on retrouve des personnes beaucoup plus nuancées comme Gilbert HOTTOIS ou Franck DAMOUR. S. Deprez développe : « Ce sont des gens qui veulent vraiment aider l’humanité […] et c’est assez rare d’avoir des gens idéalistes aujourd’hui dans une époque de cynisme généralisé. [Ce sont] des gens qui se soucient du bien-être des autres. Ils méritent qu’on prenne au sérieux en tous cas leur attitude à défaut de prendre nécessairement au sérieux tout ce qu’ils racontent ». Le mouvement transhumaniste ne compte toutefois que quelques milliers de personnes à travers le monde et tous ne sont pas aussi nuancés dans leurs idées mais globalement, il y a beaucoup de propos intéressants à retirer de cette idéologie.
L’effort d’apprendre : la clé du débat
Peu importe la manière d’apprendre, que ce soit par programmation neuronale ou autre, les notions d'effort et de persévérance posent question. Les anti-transhumanistes diront qu’apprendre sans effort, ce n’est pas bien, qu’il faut s’engager dans la tâche et s’astreindre, avec difficulté, à la réaliser. Mais, où serait le mal d’apprendre sans effort ? Qu’est-ce que cela pourrait changer de faire un effort pour apprendre quelque chose ou non ? On accepte bien de nos jours d’apprendre des choses sous hypnose, quelle différence si l’information est obtenue par une puce ou une pilule à avaler ? Quel est l’objectif recherché : apprendre ou faire des efforts ? La question de l’effort pose la question de la discipline sociale. Une société se définit par des individus disciplinés. En cela, l’école obligatoire se justifie afin d’amener des enfants de 4 ans à rester assis et apprendre à lire, écrire et étudier les classiques nationaux et ce, malgré leur mouvement spontané de courir, jouer, tout sauf de rester assis de longues heures. La société d’aujourd’hui nous pousse à discipliner nos corps et apprendre des choses qui ne nous serviront peut-être pas, dans le but de faire de nous « des corps sages ». La vraie raison à tout ceci était d’avoir des ouvriers qualifiés pour les usines et des soldats un minimum instruits. Mais aujourd’hui, tout ceci est en train de voler en éclat. « Le rapport à l’effort a changé complètement » constate notre expert. Avec la télévision et Internet, les étudiants d’aujourd’hui en apprennent autant qu’à l’école. Une information n’est que quelque chose qui circule, la connaissance est à tous et le droit d’auteur ne fait plus grand sens dans l’esprit des jeunes.
Une société basée sur les valeurs individuelles
Pourquoi faire plus d’efforts pour obtenir le même résultat ? Cette question se raccroche à la structure de notre société actuelle qui est une société de plus en plus individualisée. Le sociologue explique : « Ceci signifie simplement que nous accordons davantage de valeurs aux individus et surtout à nous, en tant qu’individu, et moins de valeurs au groupe que ce soit dans la famille, au travail, …. Et cela, c’est neuf ! Le mouvement transhumaniste est le fruit culturel de tout cela. Si la technique nous permet d’être davantage nous-même et d’obtenir des choses sans souffrir, il n’y a aucune raison de s’en priver. […] La logique individualiste du transhumaniste est appelée à grandir ».